Une tribune pour le NON au référendum publiée dans le figaro par Nicolas Dupont-Aignan le 7 avril 2005

Publié le par fritz

 

QUELLE EUROPE VOULONS-NOUS?

 

 Avec le débat référendaire sur la Constitution européenne, les Français découvrent soudain que l'Europe que l'on est en train de bâtir n'a plus grand-chose à voir avec celle qu'on leur avait promise. Il était temps! L'éternel chantage du «oui ou le chaos» n'abuse d'ailleurs plus nos compatriotes tant ils ont été trompés par ceux qui, à gauche ou à droite, leur ont fait croire qu'ils bâtissaient une Europe puissance «à la française» tandis qu'ils se résignaient à abandonner la souveraineté de la France au profit d'une Europe molle aux antipodes de leurs incantations. Leur dernier argument en faveur de la Constitution est une forme d'aveu. A quoi bon vouloir une autre Europe, nous répètent-ils inlassablement sur les ondes, puisque les autres pays n'en veulent pas?

C'est justement parce que nous avons à les convaincre qu'une autre Europe est possible et nécessaire, que nous devons dire non. C'est justement parce qu'on ne renégocie jamais un contrat après l'avoir signé, que nous devons refuser d'adopter un texte aussi contraire aux intérêts de la France et de l'Europe.

La question n'est, en effet, plus d'être pour ou contre l'Europe, mais de savoir laquelle nous voulons. Les avocats de la Constitution sont à court d'arguments car ce texte, véritable monstre juridique, ne définit aucun horizon clair pour notre continent. Notre non est raisonnable car il est fondateur, lui, d'une autre vision de l'Europe, capable de répondre aux trois questions fondamentales qui se posent aujourd'hui: pourquoi faire l'Europe, comment et avec qui?

Près de 50 ans après la signature du traité de Rome, nous avons le recul de l'expérience. La Politique agricole commune (PAC), le Marché commun avec le tarif extérieur douanier, Airbus ou Ariane, toutes les grandes réussites européennes ont été fondées sur le même bon sens: la définition d'un objectif politique précis puis sa réalisation, en fonction d'une méthode claire où les Etats étaient pleinement maîtres du jeu, du calendrier et des financements.

A l'inverse, la construction européenne a perdu son cap depuis Maastricht, quand la logique de moyens l'a emporté sur la logique d'objectifs. En confortant un superEtat boulimique de normes, en érigeant ses juges en gouvernants, en rendant irresponsables ses banquiers centraux qui ont oublié que la monnaie n'est qu'un moyen au service de la croissance, l'Europe est devenue incontrôlable, se coupant des réalités et des peuples.

La Constitution, tout en prétendant l'inverse, consacre et aggrave cette dérive du «toujours plus». Dans le monde de réseaux et de savoirs où la rapidité et l'adaptabilité comptent le plus, pourquoi s'entêter à vouloir créer un mastodonte étatique incapable, en l'absence d'un peuple unique, de se fixer une ligne politique viable? C'est au contraire en se limitant aux seuls domaines où l'Union peut permettre aux nations de faire mieux ensemble ce qu'elles ont du mal à accomplir seules que l'Europe restera un acteur stratégique majeur du monde de demain.

L'Europe doit donc plutôt bâtir des coopérations de projets dans les domaines scientifiques, industriels ou culturels plutôt que de vouloir tout uniformiser, que ce soit d'ailleurs par le bas, (inacceptable pour l'ouest de l'Europe) ou par le haut (impossible pour l'est). A cet égard, trois défis pressants sont à relever.

Premier défi, celui de la puissance économique: l'Europe doit relancer sa croissance par une politique monétaire certes conduite par la Banque centrale européenne, mais sous le contrôle des gouvernements. Elle doit autoriser les investissements publics dans les secteurs d'avenir (recherche, industries de pointe,...). Il lui faut, enfin, appliquer une politique commerciale plus intelligente et vraiment lutter contre la concurrence déloyale, comme le font les Etats-Unis. Cela signifie très concrètement le rejet d'une Constitution qui, par ses articles 144, 188, 279 et 314, l'empêcherait.

Deuxième défi, le renouvellement démographique: l'Europe doit désormais favoriser les politiques natalistes des Etats (par exemple, en ne comptabilisant pas dans le pacte de stabilité les dépenses publiques correspondantes) plutôt que de persister dans le mythe d'une immigration de substitution qui ne fera qu'aggraver les tensions économiques, sociales, et même ethniques dans les pays membres. La Constitution européenne ne dit mot de la dépression démographique européenne mais confirme tous les carcans qui empêchent d'y faire face (articles 178, 179, 184).

Troisième défi enfin, celui de la sécurité collective pour vraiment peser dans le monde et affirmer une politique étrangère équilibrant l'unilatéralisme américain. En supprimant l'objectif de «l'indépendance européenne», pourtant présent dans tous les traités précédents, et en consacrant la soumission stratégique de l'Europe à l'Otan (article 41), la Constitution européenne fait à nouveau le mauvais choix.

Une fois posés les objectifs de l'Europe, il convient avec le même pragmatisme de s'interroger sur les moyens: comment faire l'Europe? Le passage à l'Europe fédérale que tente à visage masqué la Constitution, est infaisable. Comment un grand pays pourrait-il accepter que les aspirations fondamentales de son peuple soient mises en minorité à Bruxelles?

Dans une Europe à vingt-cinq, il faut donc inventer un système équilibré à géométrie variable. Le système confédéral est la seule solution car qu'on le veuille ou non, la nation reste le seul cadre où la minorité accepte sans difficulté la loi de la majorité, où le débat politique, assis sur une langue, une histoire et des valeurs communes, revêt un sens. Mieux vaut réussir à 80, 140 ou 200 millions d'Européens, que se condamner à toujours échouer à 450! Dans ce cadre, les Etats seraient libres de participer (ou non) à des contrats d'objectifs thématiques, à l'image d'Airbus, qui les lieraient les uns aux autres jusqu'à l'aboutissement concret du projet. Une fois arrêtée cette nouvelle méthode, l'Europe devra enfin délimiter ses frontières.

Rappelons au préalable une vérité d'évidence mais que les partisans du oui contestent avec mauvaise foi: la Constitution européenne est la clé institutionnelle de l'adhésion de la Turquie car elle fait sauter le verrou du traité de Nice, qui liste les Etats membres (les 25 d'aujourd'hui plus la Roumanie et la Bulgarie) et ne la permet pas aujourd'hui. Plutôt que de poursuivre cette fuite en avant, il est urgent de mettre en œuvre des partenariats privilégiés avec la Russie, immense pays eurasiatique, riche en matières premières et acteur de premier plan en matière spatiale, le Maghreb et le Proche-Orient.

Une Europe européenne musclant ses nations définitivement réconciliées au sein d'une confédération raisonnable mais dynamique, voilà en somme ce qu'attendent nombre d'Européens et une majorité de Français. Ainsi l'Europe pourra maîtriser la mondialisation plutôt que d'en être prisonnière.

Combien de peuples dans le monde attendent de l'Europe qu'elle renoue ainsi avec sa mission historique pour offrir une voie alternative à cette nouvelle jungle? Quel autre pays que la France peut réveiller le continent pour porter ses valeurs et redevenir lumière du monde?

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